Les infections à papillomavirus humain (PVH) causent diverses maladies, dont le cancer du col utérin, première cause de mortalité par cancer en Afrique Sub-Saharienne, y compris au Sénégal, où est menée une campagne nationale de vaccination contre les PVH ciblant les filles de 9 ans. Cette campagne est conduite dans un contexte global d’"hésitation vaccinale" (HV), qui souligne notamment la crise de confiance des populations à l’égard de la sécurité et de l’efficacité des vaccins, et l’apparition d’attitudes spécifiques à tel ou tel vaccin.
Notre projet vise à mieux comprendre les croyances, attitudes et comportements du public et des agents de santé à l’égard de la vaccination, au Sénégal, dans ce contexte. Nous proposons d’ancrer notre analyse à la fois dans les contextes urbains et ruraux, mais en nous restreignant au Sud du Sénégal où les taux d’immunisation sont les plus faibles du pays. Il s’agissait en particulier d’identifier toutes les personnes impliquées dans les décisions vaccinales, et de décrire/mesurer l’hésitation vaccinale éventuelle, à la fois parmi les mères concernées et parmi les personnels de santé impliqués dans la vaccination contre le HPV. Du point de vue de la santé publique, notre projet devrait participer à l’amélioration de la santé des populations, en ce qu’il vise à identifier les barrières à la vaccination, dans le public comme parmi les vaccinateurs, et à apporter une compréhension fine des croyances/attitudes/comportements susceptibles d’être utile dans le design d’informations et de campagnes de prévention, ou dans la conception de sessions de formation à destination des personnels de santé impliqués dans la vaccination contre les PVH. Enfin, notre projet s’inscrit dans un objectif de construction de partenariats l’Ecole Nationale de la Statistique et de l'Analyse Economique de Dakar.
Au total, notre projet de recherche propose une approche multidisciplinaire qui combine méthodes qualitative et quantitative. Trois enquêtes qualitatives ont été réalisées respectivement auprès des mères concernées par la vaccination contre les PVH, auprès des Bajenu Gox, les "marraines de santé" déployées au Sénégal, et enfin auprès des personnels de santé des campagnes d’immunisation contre le PVH (avec pour ces derniers un recrutement complémentaire à Dakar). Cette phase qualitative a permis de construire des questionnaires adaptés pour la phase quantitative, avec deux enquêtes par sondage, auprès des mères et des personnels de santé, pour explorer l’hésitation vaccinale dans ces deux populations. Enfin, en parallèle, il s’agissait d’analyser de façon exploratoire des données collectées sur Twitter relatives à la circulation d’informations/opinions/rumeurs sur la vaccination anti-PVH.
Le projet a été lancé à l’automne 2021. Un article de synthèse de la littérature scientifique sur les motifs de non-vaccination en Afrique a d’abord été publié. Entre décembre 2022 et avril 2023, les trois volets de recueil qualitatif des données ont été réalisés (au total près de 60 personnes (mères, marraines de santé, soignant(e)s ont participé) et ont permis la conception des questionnaires des deux enquêtes par questionnaire, réalisées entre décembre 2023 et mai 2024 (1289 participantes pour l’enquête parmi les mères, 302 pour celle parmi les soignant(e)s). Enfin l’analyse des données Twitter a été associée à un stage impliquant un élève statisticien de l’ENSAE Dakar. En complément, un reportage photographique a été réalisé en suivant le travail des marraines de santé (Bajenu Gox), et donnera lieu à plusieurs expositions, au Sénégal comme en France, entre le dernier trimestre 2024 et le premier semestre 2025, exposition accompagnée d’un livre de près de 100 pages imprimé à l’automne 2024. Trois articles scientifiques sont en phase de finalisation, et seront soumis d’ici fin 2024. Le premier porte sur les trois enquêtes qualitatives : il montre que les obstacles à la vaccination se situent à la fois du côté de l’offre (manque de moyens matériels et humains, conditions de travail difficiles) et de la demande (déficit de connaissance et méfiance des parents), sachant que la forte défiance suscitée par la vaccination contre la Covid-19 a accru la défiance à l’égard de la vaccination anti-PVH. Cet article montre aussi comment les figures d’autorité locales (Bajenu Gox, imam, chef du village…) peuvent être amenées à coopérer pour "encercler" et convaincre les pères et mères réticents. Le second exploite l’enquête quantitative auprès des mères, et montre notamment que les campagnes de vaccination et leurs relais communautaires alimentent parfois un effet boomerang, avec une minorité de mères lassées par leur insistance. Enfin le dernier porte sur l’enquête quantitative auprès des personnels de santé, et met en évidence un contraste entre zones urbaine et rurale.