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Une recherche pluridisciplinaire pour mieux comprendre les adaptations des médecins généralistes face aux évolutions de la démographie médicale

Contexte national : raréfaction de l’offre de médecine générale et augmentation de la demande de soins

On observe en France une raréfaction de l’offre de médecine générale particulièrement marquée, qui s’explique de différentes façons : départs à la retraite non compensés par les installations, féminisation de la profession, développement des temps partiel, moindre attractivité de la spécialité de médecine générale… Cette tendance, qui touche également la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, s’accompagne d’une aggravation des inégalités de répartition de l’offre selon les territoires et d’une hausse marquée de la demande de soins, liée au vieillissement de la population et à l’augmentation de la prévalence des maladies chroniques et des polypathologies.

Cette évolution démographique peut avoir des impacts non négligeables sur l’accès aux soins de la population (inscription auprès d’un médecin-traitant, délais de rendez-vous …). Il nécessite également des ajustements de la part des médecins généralistes dont les formes peuvent varier.

Un projet de recherche pluridisciplinaire s’appuyant sur une méthode mixte

Le projet de recherche « Raréfaction de l’Offre de Soins et Adaptations des Médecins généralistes » (ROSAM) a été initié en 2019, avec le soutien financier de l’Institut pour la Recherche en Santé Publique (IRESP). Ce projet avait pour objectif d’étudier comment les médecins généralistes percevaient l’évolution de l’offre de soins dans leur zone d’exercice et quelles formes d’adaptations ils mettaient en œuvre face aux évolutions de la démographie médicale.

Différentes équipes de recherche issues de différentes disciplines (économie, géographie, psychologie) ont été impliquées : l’Observatoire Régional de la Santé Provence-Alpes-Côte d’Azur (ORS Paca), l’Institut de Recherche et Documentation en Economie de la Santé (IRDES), l’Aix-Marseille School of Economics (AMSE) et l’Equipe de Recherche sur l’Utilisation des Données Individuelles en lien avec la Théorie Economique (ERUDITE).

Volet quantitatif : L’utilisation d’une pluralité de bases de données (Panel national d’observation des pratiques et des conditions d’exercice en médecine générale, Système National des Données de Santé Caisse Nationale de l’Assurance Maladie) a permis de recueillir des données sur les conditions de travail, le ressenti au travail et les pratiques médicales, dans une dimension longitudinale.

Volet qualitatif : En 2021, des entretiens qualitatifs ont également été menés auprès de 32 médecins généralistes exerçant dans des zones sous-denses ou à risque de désertification médicale en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Ce volet qualitatif a permis de recueillir les perceptions des médecins sur l’évolution de la démographie médicale et les impacts de cette situation sur leurs conditions d’exercice et leurs pratiques, mais aussi de décrire à quelles difficultés ils étaient confrontés et quelles adaptations ils développaient pour y faire face.

Principaux enseignements du projet ROSAM

Issus du panel national de médecins généralistes :

En 2022, parmi les médecins généralistes interrogés dans le cadre du panel national d’observation des pratiques et des conditions d’exercice (n=1 530), 78 % estimaient que l’offre de médecine générale était insuffisante sur leur territoire (+ 11 points par rapport à 2019). Par ailleurs, 73 % anticipaient une baisse de l’offre de soins forte (48 %) ou légère (25 %) dans les années à venir.

Cela conduisait les médecins à des stratégies d’adaptation de leur façon de pratiquer et de s’organiser. Par exemple, 65 % des répondants ont déclaré refuser de prendre en charge de nouveaux patients dits « médecin traitant » (+ 12 points par rapport à 2019), 57 % ont déclaré augmenter les délais de rendez-vous et 44 % voir moins fréquemment certains patients qu’ils suivaient régulièrement. De plus, la moitié des médecins interrogés ont déclaré rogner sur leur temps de formation.

Quatre profils de médecins ont été identifiés en fonction du nombre et du type d’adaptations déclarés et de leur temps de travail hebdomadaire : les deux premiers profils correspondent à des médecins qui s’adaptent peu (2,4 adaptations déclarées en moyenne) et qui travaillent peu (profil 1 : 25 %) ou beaucoup (profil 2 : 25 %). Les deux autres profils, davantage représentés dans les zones sous-denses, incluent des médecins qui prennent de nombreuses mesures d’adaptations et qui ne changent pas (profil 3 : 30,7 %) ou au contraire réduisent leur durée de consultation (profil 4 : 18,9 %). Les médecins de ce dernier profil semblent plus enclins que les autres à recourir aux deux mesures les plus problématiques (baisse de la durée de consultation et/ou une réduction du temps consacré à la formation).

Issus de l’enquête qualitative menée en Provence-Alpes-Côte d’Azur :

La plupart des participants ont constaté un recul de l’accès aux soins dans tous les types de territoires (ruraux, urbains et périurbains), mais pensent que les difficultés des zones urbaines sont moins reconnues par les pouvoirs publics.

Selon les participants, l’évolution de la démographie médicale s’accompagne d’une dégradation de leurs conditions de travail et de la qualité des soins (charge et cadence de travail devenues insoutenables, pression permanente, impression de travail « bâclé » …), mais aussi, chez certains, d’un épuisement physique et psychologique. Le sentiment de pratiquer une médecine dégradée et contraire à leurs valeurs est la principale source d’insatisfaction citée par les médecins interrogés.

Face aux difficultés qu’ils rencontrent, certains médecins se montrent combatifs et en recherche de solutions, tandis que d’autres se disent fatalistes et découragés. Les adaptations décrites par les participants répondent à différents objectifs (réguler la demande de soins, optimiser leur temps, faciliter l’accès aux consultations spécialisées) et sont, pour la plupart, improvisées et informelles. Certaines d’entre elles posent la question de leur efficacité et de leur efficience.

Des résultats valorisés par l’équipe de l’ORS

En 2023, un Étude et résultats a été consacré aux résultats du projet ROSAM issus du panel de médecins généralistes.

En 2024, un colloque interdisciplinaire, préparé avec l’AMSE, a été organisé le 21 mars 2024, afin de présenter les différents travaux réalisés dans le cadre du projet ROSAM. Deux communications ont été réalisées par l’équipe de l’ORS.

Par ailleurs, deux articles scientifiques ont été publiés dans des revues internationales à comité de lecture, l’un sur la base des résultats qualitatifs (Dumesnil et al. 2024), et l’autre sur la base des résultats quantitatifs (Davin-Casalena et al. 2024) :

Une enquête qualitative explorant le vécu, les difficultés et les adaptations des médecins généralistes face à la baisse de la démographie médicale

Comment les médecins généralistes en France font face à l'augmentation de la demande de soins et à la pénurie de médecins