Depuis quelques années, de nombreuses recherches pointent les spécificités contemporaines d’une "hésitation vaccinale" qui se distinguerait radicalement de l’hostilité traditionnelle que suscitait jusqu’alors la vaccination. Internet et les médias sociaux sont devenus des sources d’information privilégiées, le risque perçu d’effets secondaires graves est un élément essentiel des décisions vaccinales, et les médecins généralistes gardent un rôle clef dans ce processus décisionnel. De plus, les travaux publiés sur les attitudes et comportements à l’égard du vaccin contre le papilloma virus humain (HPV) identifient plusieurs barrières à la vaccination, y compris celles qui peuvent provenir des professionnels de santé eux-mêmes. Mais ces travaux ne resituent pas les attitudes et comportements du point de vue de l’hésitation vaccinale, qui concerne les patients mais également les médecins.
Ce projet vise à mieux comprendre les attitudes et les comportements à l’égard du vaccin anti-HPV, dans le contexte français où une vaccination scolaire est envisagée. En supposant qu’il s’agit d’une forme particulière d’hésitation vaccinale, nous proposons d’intégrer dans l’analyse les médecins généralistes d’une part, la circulation et la réception des informations, sur internet et les réseaux sociaux en particulier, d’autre part.
Il s’agit d’abord de caractériser statistiquement les croyances, attitudes et comportements à l’égard du vaccin anti-HPV et de les situer dans un cadre théorique forgé pour étudier l’hésitation vaccinale ; nous mobiliserons les données du Baromètre Santé 2016, enquête téléphonique réalisée par Santé Publique France (axe 1). Une seconde démarche qualitative, ciblant les parents de jeunes filles, vise plus spécifiquement à comprendre les cadres cognitifs dans lesquels ils "pensent" cette vaccination, comment ils évaluent la crédibilité de diverses sources d’information (axe 2). On s’intéresse ensuite, par le biais d’entretiens semi-directifs, aux croyances, attitudes et comportements des médecins généralistes (axe 3). Les attitudes à l’égard d’une vaccination en milieu scolaire sont explorées dans ces trois premiers axes. Enfin, l’axe 4 s’intéresse plus en détail à la genèse de l’hésitation vaccinale spécifique au vaccin anti-HPV en la replaçant dans le contexte plus large de circulation de l’information sur internet et les réseaux sociaux, à partir d’un échantillon de sites internet et de tweets.
Axe 1 : les analyses quantitatives sont terminées et un article a été soumis à publication en 2021. Ces analyses montrent que l’hésitation vaccinale spécifique au vaccin anti-HPV explique mieux les comportements vaccinaux que les attitudes à l’égard de la vaccination en général.
Axe 2 : Cinq entretiens avec des mères et leurs filles ont été réalisés, mais n'ont pas pu être poursuivis en présentiel ni en distanciel, compte tenu de la situation relative à la Covid-19.
Axe 3 : des entretiens avec 28 médecins (généralistes, pédiatres, gynécologues) ont été réalisés et analysés, et un article paru dans la revue Vaccine en 2020. Selon leurs attitudes et comportements à l’égard du vaccin anti-HPV, 5 types de médecins ont pu être distingués : des médecins méfiants vis-à-vis du vaccin, des médecins hésitants, d’autres favorables à ce vaccin, mais laissant les parents décider, des médecins très favorables au vaccin et investis dans l’éducation des parents, et, enfin, des médecins très favorables en vaccin mais refusant toute discussion à son sujet. Cette typologie est fortement influencée par le degré de confiance des médecins dans les autorités mais aussi par leurs valeurs et positionnement professionnels. A cet égard, un article a été publié en 2021 dans la revue Vaccine.
Axe 4 : l’extraction des tweets traitant du HPV, l’identification des principaux sujets de discussion ainsi que des principales communautés participant à celles-ci, sont réalisées. Un article est paru dans la revue Scientific Report en 2021. Nous y montrons que pendant la période précédant l’extension de l’obligation vaccinale, les débats portant sur le HPV sont particulièrement segmentés : les débats sur le HPV en général sont équilibrés entre discours antivaccin et discours des défenseurs tandis que les débats portant sur le Gardasil (très importants en volume) sont dominés par les critiques. Un article a été accepté en 2021 dans Social Networks : il montre une fragmentation du monde de la critique des vaccins sur internet : certains, critiques du Gardasil, se distancient de ceux contre la vaccination. Les premiers ont le plus de visibilité dans les médias et non les seconds pourtant plus nombreux.