La polymédication chez les personnes âgées peut accroître les risques d’interactions médicamenteuses, d’utilisation de médicaments inappropriés et finalement d’iatrogénie médicamenteuse. Dans un souci d’optimisation des prescriptions médicamenteuses et de prévention des conséquences de la polymédication chez les personnes âgées, la pharmacie de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) a initié, en collaboration avec certains services cliniques et les équipes mobiles de gériatrie, la mise en place d’activités dites de pharmacie clinique pour les patients à risque iatrogénique élevé hospitalisés hors service gériatrie et en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Cette intégration de l’évaluation pharmaceutique à l’évaluation gériatrique, dans le cadre des équipes mobiles de gériatrie, qui se développe de plus en plus en France, permet d’améliorer la connaissance des traitements pris par les patients, de sensibiliser à l’observance des traitements et de faciliter leur administration. Toutefois, les ressources disponibles ne permettent pas de déployer les équipes mobiles de gériatrie dans les EHPAD hors la ville d’implantation du CHU (Marseille). C’est pourquoi ce projet propose de développer une télé-expertise médicamenteuse (médico-pharmaceutique) réalisée par deux équipes de l’hôpital de la Timone auprès des EHPAD : un binôme (pharmacien-médecin) procédera à une réévaluation des ordonnances prescrites à chaque patient et formulera une recommandation, pour le médecin prescripteur, pour en modifier le contenu si nécessaire (déprescription de médicaments inutiles ou potentiellement inappropriés, modifications de posologies, par exemple).
L’objectif principal est de mesurer l’impact de cette intervention de télé-expertise médicamenteuse sur le taux d’hospitalisations non programmées à trois mois. L’impact de l’intervention sur d’autres indicateurs sera également mesuré, tels que, notamment, la qualité de vie, le taux de chutes, les prescriptions potentiellement inappropriées. Le projet comprendra aussi un volet sciences sociales, réalisé par l'ORS Provence-Alpes-Côte d’Azur, visant à évaluer l’acceptabilité et la satisfaction de la télé-expertise chez les professionnels de santé des EHPAD et les freins et leviers à sa mise en place et sa pérennisation.
Il s’agira d’une étude contrôlée randomisée en simple aveugle avec un groupe interventionnel (télé-expertise) et un groupe contrôle (prise en charge standard sans télé-expertise). La mesure des critères de jugement se fera à l’inclusion et à trois mois, pour la plupart (6 mois pour la qualité de vie). Le volet "acceptabilité" reposera sur une enquête qualitative auprès des professionnels de santé des EHPAD du groupe intervention (médecins coordonnateurs, médecins généralistes et infirmières) avant et après celle-ci, puis sur une enquête par questionnaire quantitatif.
La première phase de l’étude d’acceptabilité s'est terminée fin février 2020. Nous avons pu observer que les médecins généralistes sont plutôt favorables au fait de recevoir des recommandations pour améliorer leurs prescriptions aux personnes résidants en EHPAD, mais craignent de voir leur autonomie de prescription limitée. La réticence des patients à voir leurs traitements modifiés et l’intervention des familles sont également perçus comme des freins à l’adoption des recommandations proposées dans le cadre de l’essai TEM-EHPAD (publication dans Clinical Intervention in Aging). La phase d’enquête quantitative de cette étude a été réalisée entre avril et juin 2021, avec la passation d’un questionnaire dans le cadre du panel 4, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, auprès de plus de 300 médecins généralistes : seuls 200 s’occupaient de patients en EHPAD. Parmi ces derniers, deux tiers seraient favorables à un avis sur les ordonnances de leurs patients âgés par d’autres praticiens sous la forme d’une télé-expertise, en ayant la possibilité de discuter des modifications ; un tiers considéraient ce type d’intervention comme un contrôle des prescriptions et une perte de liberté. Finalement, la majorité des participants (80 %) se déclaraient favorables à la démarche TEM-EHPAD. Un article international est en cours de préparation pour présenter ces résultats originaux, avec une soumission prévue au premier semestre 2024.